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Épisode Bonus : Alice au Pays des Merdeveilles | 2019-01-04 | false | Vers l'infini et surtout au delà |
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Comme convenu dans l'épisode précédent, un article spécialement spécial sur les différents « voyages » que j'ai pu faire grâce à (ou à cause, au choix) des doses de morphine administrées après l'opération.
Gustavo
Impossible de commencer sans évoquer notre ami Gustavo. Gustavo est un ingénieur, administrateur système, qui travaille au service informatique de l'hôpital (situé sur le toit de l'hôpital) depuis presque 10 ans. Malgré nos nombreux échanges par écrit, je n'ai jamais eu l'occasion de le rencontrer réellement.
Après des études d'informatique à Rennes, il a commencé en tant qu'administrateur système dans le privé. Après quelques années de dur labeur, confronté à des collègues chiants, voir carrément inssuportables, il trouve une offre d'emploi dans le public, à l'hôpital de Chambéry. Quoi de mieux pour cet amateur de snowboard qu'un travail près des pistes ?! Ni une ni deux, il accepte le poste et déménage illico dans les montagnes de Savoie.
Il a quand même un parcours atypique, ce mec, il est né dans un pays d'Amérique du Sud. Après beaucoup de galères et de sacrifices, il voyage en Europe, plus particulièrement en France, pour y faire ses études. Un type franchement courageux qui ne baisse jamais les bras.
Avec Gustavo, je peux discuter pendant des heures de musique. Nous aimons tous les deux le métal, bien que celui-ci ait des goûts parfois un peu douteux (Six Feet Under, vraiment ?).
Mais comment je fais pour discuter avec lui ? Bah oui, c'est vrai ça, il travaille toute la journée et même parfois la nuit. Moi je n'ai pas accès à un ordinateur et je ne peux pas utiliser mon téléphone (mes doigts ne répondent pas vraiment super bien à ce que je leur demande de faire).
Au moment des faits, c'était très clair et très simple pour moi, même si ça paraît un peu tiré par les cheveux de l'extérieur, je l'admets. Pour être entendu par Gustavo, je n'avais qu'a parler et les micros présents dans la chambre lui transmettait directement mes paroles (et même mes pensées !). Malheureusement, aucun haut-parleur n'était installé dans ma chambre, je n'avais donc aucun moyen d'entendre ses réponses. MAIS, un ingénieux système à base de projection de lumière dans la chambre (en réalité c'était la lumière qui passait par les interstices des stores qui créait des lignes de lumière) lui permettait de me transmettre des messages texte.
Après un jour ou deux, nous avions déjà inventé tout un protocole de communication rondement ficelé. La lumière clignote lentement ? Ok, ça veut dire qu'il s'apprête à m'envoyer un message et que je dois regarder le mur. Le clignotement est plus rapide ? Attention danger, une infirmière ou une aide soigante arrive, il faut couper toutes les communications. Les couleurs changent ? Pas de problème, c'est pour indiquer son humeur du moment.
Pour moi, c'était tout à fait réel, tout à fait simple et tout à fait normal !
Après plusieurs aventures, Gustavo m'a même avoué qu'il aurait bien voulu aller sur les pistes de ski avec moi la saison prochaine (j'attends toujours de ses nouvelles pour organiser quelque chose !).
La première fois que Gustavo m'a aidé, c'était pour m'endormir. J'étais très agité et je n'arrivais pas à me vider l'esprit pour m'endormir sereinement. Via notre audacieux canal de communication, il m'a donné de précieux conseils pour trouver le sommeil. D'après lui, pour s'endormir paisiblement, il faut imaginer une personne (ou un objet) importante (important) pour nous. L'objet doit ensuite être placé, flottant, dans le ciel. Pour terminer, le futur dormeur doit sortir de son corps (décorporation) pour atteindre cet objectif, par la pensée, dans le ciel. Facile à dire, plus difficile à faire. Etant persuadé de la véracité des propos du cher Gustavo, je me suis entraîné toutes les nuits pour appliquer toutes les consignes et finalement réussir l'étape de décorporation qui est, de loin, la plus compliquée ! J'avais alors une vision de la pièce, de moi-même, du ciel (absence de plafond, normal) et je pouvais me déplacer à ma guise (bon c'était quand même pas super évident non plus) dans toutes les directions. Ce faisant, je pouvais arpenter le ciel et capturer l'objet imaginé au départ pour, finalement, m'endormir paisiblement.
J'ai bien essayé de chercher Gustavo sur Facebook, Google, LinkedIn pour pouvoir rester en contact avec lui et le remercier pour son aide malheureusement je n'ai jamais pu le trouver.
Voilà pour les présentations, ça paraissait essentiel de commencer cet épisode par cette description du personnage imaginaire qui m'a suivi dans pas mal d'aventures hallucinatoires (il est aussi présent dans le dernier paragraphe de ce billet !).
Merci pour tout Gustavo, j'espère que tu vas bien, à bientôt !
The Ritual
Les hallucinations, ça peut être au choix, sympa (voir le Gustavo dans le paragraphe ci-dessus) ou infernal. C'est maintenant au deuxième cas que je vais m’intéresser.
Pendant mon séjour en réanimation, j'avais énormément de mal à dormir, pour plusieurs raisons :
- aucun mouvement dans la journée, aucune fatigue du corps
- très peu de stimulation intellectuelle, aucune fatigue de l'esprit
- des positions franchement pas confortables (les drains, les cathéters et autres PiccLines)
- de très fortes douleurs dans le dos, parce qu'allongé 100% du temps
- des machins qui font bipbip, boupboup
- des lumières dignes d'une discothèque sortie de Blade Runner
- angoisse d'être dans cette chambre
- lassé de ne pas voir le jour
Bref, vous l'aurez compris, c'était pas le contexte propice à l'endormissement optimal. Du coup, j'ai demandé aux infirmières de mettre de la musique et/ou des séances d'hypnose pour m'aider à m'endormir. Le problème c'est que les sons me faisaient complètement halluciner.
Le plus troublant a été une séance d'hypnose de Benjamin Lubszynski. Après quelques minutes d'introduction, il commence à évoquer la nature et la forêt. Pour une raison qui m'échappe encore, je suis totalement parti dans un délire Lovecraftien et je me suis projeté dans une forêt malsaine, fourmillante de monstres et divinités toutes plus obscures les une que les autres. Au milieu de tout ça, j'ai croisé des occultistes aux rites et prières chelous, qui devaient invoquer les Grands Anciens ou quelque chose du genre. Il y a quelques mois, j'ai regardé le film The Ritual sur Netflix, c'est clairement l'ambiance que j'ai vécu durant mes hallucinations. Rites occultes, ambiance malsaine, peuple aux coutumes douteuses, tout y est.
Le problème avec les hallucinations, c'est qu'on est absolument persuadé que c'est réellement arrivé. Et quand la réalité devient Lovecraftienne, c'est vraiment flippos.
EMI
Plus flippant encore que les rites à la Cthulhu, l'expérience de mort imminente (EMI).
D'après mes souvenirs, ça c'est déroulé dans la nuit. Je suis soudainement réveillé par un grand bruit. Le personnel s'agite dans tous les sens, les lumières clignotent, je vois des ombres passer à toute vitesse devant la chambre, j'entends des cris, des ordres et même des insultes (dans le lot). D'après ce que je comprends, l'hôpital (voir même la ville, en fait) subit une panne de courant. Les portes électriques (elles sont manuelles dans la réalité) refusent de s'ouvrir et les patients sont coincés dans leur chambre. Voyant que ma porte refuse de s'ouvrir et étant seul au milieu de cette galère je commence à paniquer sérieusement.
Je crie, je gigote, mais personne ne m'entends, après quelques minutes /heures/jours (franchement je saurais pas dire) j'ai même l'impression que l'intégralité des patients, sauf moi, a été évacuée. Je me retrouve donc seul dans ce merdier et l'air dans la pièce n'est plus renouvelé par le système (encore une fois c'est complètement inventé) et j'ai l'impression que je suis entrain de suffoquer.
C'est à ce moment que j'entends une voix, je ne la connais pas mais je sens qu'elle est amicale et qu'elle veut m'aider. Bingo, c'est notre cher Gustavo qui vient à ma rescousse.
A ce moment la, dans la réalité, je ne pouvais pas encore boire de l'eau de manière "classique". Je ne peux que me vaporiser de l'eau sur le visage et très légèrement dans la bouche (on ne peut pas vraiment appeler ça boire). J'ai donc à disposition un brumisateur rechargeable (tout à fait standard) tout à fait extraordinaire ! Gustavo m'explique que c'est un brumisateur utilisé dans son pays natal (Amérique du Sud, mais je ne sais plus lequel) et qu'il a une fonctionnalité cachée permettant de respirer de l'oxygène si le brumisateur en question contient de l'eau (oui ça va loin). Gustavo m'explique qu'en l'utilisant d'une certaine façon et en l'orientant d'une certaine manière je pourrais continuer à respirer même si la pièce vient à manquer d'oxygène.
A ce moment précis, je commence vraiment à stresser et les informations de Gustavo sont très précieuses pour moi. Sous ses yeux (via des caméras j'imagine) attentifs, j'exécute les instructions pour tenter d'hacker l'utilisation de mon brumisateur. Malheureusement, c'est assez compliqué et j'échoue à de nombreuses reprises avant de finalement réussir à l'utiliser plus ou moins correctement. C'est la que quelque chose me percute : la contenance du brumisateur n'est pas illimitée, comment je vais faire quand je n'aurai plus une seule goutte d'eau dans la bombonne ? Merde, merde, je suis dans la mouise.
Je panique, je me tourne dans tous les sens, je crie mais ça ne sert à rien de toute façon, personne ne m'entend, tout le monde m'a laissé crever comme une merde dans ce trou sans oxygène. Gustavo, aide moi ! T'es le seul à pouvoir me sortir de cet enfer ! C'est alors qu'il me répond
Regarde à côté de toi, Coffee peut t'aider !
Je regarde sur le coté et dans le noir, apparait la silhouette d'une personne assez grande, forte et baraquée. Bordel, je suis sur le cul, je n'ai pas vu cette personne depuis mon arrivée, c'est vraiment bizarre mais je suis tellement stressé que ça me dérange même pas de voir une personne apparaitre au milieu de la pièce. Elle a l'air occupée à tenir une espèce de coussin qui me soutient la tête ou le bras.
Je me présente, je parle, mais aucune réponse. Coffee me regarde dans les yeux mais il ne dit rien. J'ai l'impression qu'il ne comprend pas ce que je dis. J'essaye avec des mots simples et des questions simples du genre
Hé, Coffee ! Tu es bien Coffee ?
Il me réponds avec un oui de la tête. Bingo, j'ai réussi à entamer la conversation. Il finit par utiliser quelques mots de français mais je comprends assez rapidement que ce n'est pas une langue qu'il maîtrise. Bordel, comment je vais me sortir d'une telle situation. Heureusement, encore une fois, c'est LE Gustavo, qui va venir à ma rescousse : il parle la langue de Coffee !
Paf, situation décoincée, je parle en français avec Gustavo, Gustavo traduit et il discute directement avec Coffee. Bien que le temps presse, j'ai un topo complet sur la vie de Coffee. C'est en réalité un travailleur clandestin, immigré employé par l'hôpital et payé au lance pierre. Sa famille est restée dans son pays d'origine et lui tente désespérément de travailler pour leur envoyer de quoi vivre.
Qu'à cela ne tienne ! Je propose à Gustavo de proposer (héhé) à Coffee de le payer pour m'aider. A première vue son rôle est simple : remplir d'eau ma bombonne de brumisateur !
S'engage alors une très longue négociation parce que Coffee refuse catégoriquement de quitter son poste. Il a peur des représailles de son chef et je dois batailler d'arguments (en passant par Gustavo, ce qui rend les échanges vraiment très longs). Le temps presse de plus en plus, je sens que mes réserves en eau fondent à vue d'oeil. Je n'ai pas le choix, j'augmente le prix promis à Coffee s'il accepte de m'aider. Je lui dit que dès que j'ai une visite je demande un chèque du montant qui lui convient. En discutant avec lui de la situation de sa famille, il finit par accepter et d'une manière très hésitante, il commence à faire ses premiers pas dans la pièce : c'est encore loin d'être gagné.
Je découvre alors que la pièce est bondée d'appareils en tout genre, de câbles qui pendent, qui traînent et que l'avancée de Coffee dans cette épreuve digne de Fort-Boyard va être compliquée. Je l'encourage, lui donne des indications pour avancer. Plus il avance, plus la progression est difficile et il fait part de son envie de laisser tomber. Moi, pendant ce temps, je suffoque, c'est lui qui a ma bombonne ! L'encourager et parler me demande un effort surhumain, je sens même que l'oxygène commence à vraiment manquer, je perds la boule, je suis sur le point de tomber dans les pommes. Mais, je ne lâche rien, je continue d'encourager Coffee de toutes mes forces et après des acrobaties en tout genre, il finit par atteindre son but, mon Graal, de l'eau.
Le trajet du retour est encore plus alambiqué que celui de l'aller. Le pauvre Coffee doit faire du limbo, sauter, se faufiler, pour m'atteindre (la pièce n'est pas si grande que ça, mais bon). De mon côté, je vois trouble, je sens que je vais partir et probablement ne plus jamais revenir. La mort par suffocation est certainement une des pires, elle est lente, pas spécialement douloureuse mais tellement lente. La situation d'impuissance dans laquelle on se retrouve est exceptionnellement désagréable. Bien que je manque d'air, je m'agite dans tous les sens et je gaspille le peu qu'il me reste.
Heureseument, Coffee finit par arriver et grâce à ma maîtrise de la respiration via brumisateur, je peux à nouveau respirer et reprendre mon souffle. Quel soulagement ! Je vais vivre, avec cette recharge, je peux largement tenir le reste de la nuit. Je remercie très chaleureusement Coffee et Gustavo. Je leur promet une montagne de cadeaux si j'arrive à m'en sortir.
Après de longues heures d'attente (mais avec la possibilité de respirer et quand on a l'impression d'en avoir été privé, la retrouver c'est indescriptible). La porte finit par s'ouvrir, retour au réel. Bref, j'ai survécu à une EMI hallucinée.
Mais maintenant que j'y pense, moi je suffoque et Coffee il était là, pépouse et sans un problème pour respirer. Bouarf, on s'en fout, fuck la logique !
(Au passage, je vous souhaite, du fond du ❤, une très belle année 2019 !)