From 06af08b91cc8712d156e952ba22d7908f8715990 Mon Sep 17 00:00:00 2001 From: Wilfried OLLIVIER Date: Fri, 4 Jan 2019 19:30:28 +0100 Subject: [PATCH] Add bonus article --- content/billets/bonus-hallucinations.md | 264 ++++++++++++++++++++++++ 1 file changed, 264 insertions(+) create mode 100644 content/billets/bonus-hallucinations.md diff --git a/content/billets/bonus-hallucinations.md b/content/billets/bonus-hallucinations.md new file mode 100644 index 0000000..0b94dda --- /dev/null +++ b/content/billets/bonus-hallucinations.md @@ -0,0 +1,264 @@ +--- +title: "Épisode Bonus : Alice au Pays des Merdeveilles" +date: 2019-01-04 +draft: false +description: "Vers l'infini et surtout au delà" +tags: ['bonus', 'hallucinations', 'morphine', 'drogues'] +--- + +Comme convenu dans l'épisode précédent, un article spécialement spécial sur les +différents « voyages » que j'ai pu faire grâce à (ou à cause, au choix) des doses + de morphine administrées après l'opération. + +# [Gustavo](https://www.youtube.com/watch?v=86URGgqONvA) + +Impossible de commencer sans évoquer notre ami Gustavo. Gustavo est un +ingénieur, administrateur système, qui travaille au service informatique de +l'hôpital (situé sur le toit de l'hôpital) depuis presque 10 ans. Malgré nos +nombreux échanges par écrit, je n'ai jamais eu l'occasion de le rencontrer +réellement. + +Après des études d'informatique à Rennes, il a commencé en tant +qu'administrateur système dans le privé. Après quelques années de dur labeur, +confronté à des collègues chiants, voir carrément inssuportables, il trouve une +offre d'emploi dans le public, à l'hôpital de Chambéry. Quoi de mieux pour +cet amateur de snowboard qu'un travail près des pistes ?! Ni une ni deux, il +accepte le poste et déménage illico dans les montagnes de Savoie. + +Il a quand même un parcours atypique, ce mec, il est né dans un pays d'Amérique +du Sud. Après beaucoup de galères et de sacrifices, il voyage en Europe, plus +particulièrement en France, pour y faire ses études. Un type franchement +courageux qui ne baisse jamais les bras. + +Avec Gustavo, je peux discuter pendant des heures de musique. Nous aimons tous +les deux le métal, bien que celui-ci ait des goûts parfois un peu douteux ([Six +Feet Under](https://www.youtube.com/watch?v=KTsvKmylJB8), vraiment ?). + +Mais comment je fais pour discuter avec lui ? Bah oui, c'est vrai ça, il +travaille toute la journée et même parfois la nuit. Moi je n'ai pas accès à un +ordinateur et je ne peux pas utiliser mon téléphone (mes doigts ne répondent +pas vraiment super bien à ce que je leur demande de faire). + +Au moment des faits, c'était très clair et très simple pour moi, même si ça +paraît un peu tiré par les cheveux de l'extérieur, je l'admets. Pour être +entendu par Gustavo, je n'avais qu'a parler et les micros présents dans la +chambre lui transmettait directement mes paroles (et même mes pensées !). +Malheureusement, aucun haut-parleur n'était installé dans ma chambre, je +n'avais donc aucun moyen d'entendre ses réponses. MAIS, un ingénieux système à +base de projection de lumière dans la chambre (en réalité c'était la lumière +qui passait par les interstices des stores qui créait des lignes de lumière) +lui permettait de me transmettre des messages texte. + +Après un jour ou deux, nous avions déjà inventé tout un protocole de +communication rondement ficelé. La lumière clignote lentement ? +Ok, ça veut dire qu'il s'apprête à m'envoyer un message et que je +dois regarder le mur. Le clignotement est plus rapide ? Attention danger, une +infirmière ou une aide soigante arrive, il faut couper toutes les +communications. Les couleurs changent ? Pas de problème, c'est pour +indiquer son humeur du moment. + +Pour moi, c'était tout à fait réel, tout à fait simple et tout à fait normal ! + +Après plusieurs aventures, Gustavo m'a même avoué qu'il aurait bien voulu aller +sur les pistes de ski avec moi la saison prochaine (j'attends toujours de ses +nouvelles pour organiser quelque chose !). + +La première fois que Gustavo m'a aidé, c'était pour m'endormir. J'étais très +agité et je n'arrivais pas à me vider l'esprit pour m'endormir sereinement. +Via notre audacieux canal de communication, il m'a donné de précieux conseils +pour trouver le sommeil. D'après lui, pour s'endormir paisiblement, il faut +imaginer une personne (ou un objet) importante (important) pour nous. L'objet +doit ensuite être placé, flottant, dans le ciel. Pour terminer, le futur +dormeur doit sortir de son corps (décorporation) pour atteindre cet objectif, +par la pensée, dans le ciel. Facile à dire, plus difficile à faire. Etant +persuadé de la véracité des propos du cher Gustavo, je me suis entraîné toutes +les nuits pour appliquer toutes les consignes et finalement réussir l'étape +de décorporation qui est, de loin, la plus compliquée ! J'avais alors une vision +de la pièce, de moi-même, du ciel (absence de plafond, normal) et je pouvais me +déplacer à ma guise (bon c'était quand même pas super évident non plus) dans +toutes les directions. Ce faisant, je pouvais arpenter le ciel et capturer +l'objet imaginé au départ pour, finalement, m'endormir paisiblement. + +J'ai bien essayé de chercher Gustavo sur Facebook, Google, LinkedIn pour +pouvoir rester en contact avec lui et le remercier pour son aide +malheureusement je n'ai jamais pu le trouver. + +Voilà pour les présentations, ça paraissait essentiel de commencer cet épisode +par cette description du personnage imaginaire qui m'a suivi dans pas mal +d'aventures hallucinatoires (il est aussi présent dans le dernier paragraphe +de ce billet !). + +Merci pour tout Gustavo, j'espère que tu vas bien, à bientôt ! + +# [The Ritual](https://www.youtube.com/watch?v=JysHPk1Qix0) + +Les hallucinations, ça peut être au choix, sympa (voir le Gustavo +dans le paragraphe ci-dessus) ou infernal. C'est maintenant au deuxième +cas que je vais m’intéresser. + +Pendant mon séjour en réanimation, j'avais énormément de mal à dormir, pour +plusieurs raisons : + +- aucun mouvement dans la journée, aucune fatigue du corps +- très peu de stimulation intellectuelle, aucune fatigue de l'esprit +- des positions franchement pas confortables (les drains, les cathéters et +autres PiccLines) +- de très fortes douleurs dans le dos, parce qu'allongé 100% du temps +- des machins qui font bipbip, boupboup +- des lumières dignes d'une discothèque sortie de Blade Runner +- angoisse d'être dans cette chambre +- lassé de ne pas voir le jour + +Bref, vous l'aurez compris, c'était pas le contexte propice à l'endormissement +optimal. Du coup, j'ai demandé aux infirmières de mettre de la +[musique](https://www.youtube.com/watch?v=Ziw4yd5R0QI) et/ou des [séances +d'hypnose](https://www.youtube.com/watch?v=uNiacsFA2is&t=2824s) pour m'aider à +m'endormir. Le problème c'est que les sons me faisaient complètement +halluciner. + +Le plus troublant a été une séance d'hypnose de Benjamin Lubszynski. Après +quelques minutes d'introduction, il commence à évoquer la nature et la forêt. +Pour une raison qui m'échappe encore, je suis totalement parti dans un délire +Lovecraftien et je me suis projeté dans une forêt malsaine, fourmillante de +monstres et divinités toutes plus obscures les une que les autres. Au milieu de +tout ça, j'ai croisé des occultistes aux rites et prières chelous, qui devaient +invoquer les Grands Anciens ou quelque chose du genre. Il y a +quelques mois, j'ai regardé le film _The Ritual_ sur +[Netflix](https://www.netflix.com/watch/80217312), c'est clairement l'ambiance +que j'ai vécu durant mes hallucinations. Rites occultes, ambiance malsaine, +peuple aux coutumes douteuses, tout y est. + +Le problème avec les hallucinations, c'est qu'on est absolument persuadé que +c'est réellement arrivé. Et quand la réalité devient Lovecraftienne, c'est +**vraiment** flippos. + +# [EMI](https://www.youtube.com/watch?v=EBYsx1QWF9A&t=50s) + +Plus flippant encore que les rites à la Cthulhu, l'expérience de mort +imminente (EMI). + +D'après mes souvenirs, ça c'est déroulé dans la nuit. Je suis soudainement +réveillé par un grand bruit. Le personnel s'agite dans tous les sens, les +lumières clignotent, je vois des ombres passer à toute vitesse devant la +chambre, j'entends des cris, des ordres et même des insultes (dans le lot). +D'après ce que je comprends, l'hôpital (voir même la ville, en fait) +subit une panne de courant. Les portes électriques +(elles sont manuelles dans la réalité) refusent de s'ouvrir et les patients +sont coincés dans leur chambre. Voyant que ma porte refuse de s'ouvrir et +étant seul au milieu de cette galère je commence à paniquer sérieusement. + +Je crie, je gigote, mais personne ne m'entends, après quelques minutes +/heures/jours (franchement je saurais pas dire) j'ai même l'impression que +l'intégralité des patients, sauf moi, a été évacuée. Je me retrouve donc seul +dans ce merdier et l'air dans la pièce n'est plus renouvelé par le système +(encore une fois c'est complètement inventé) et j'ai l'impression que je suis +entrain de suffoquer. + +C'est à ce moment que j'entends une voix, je ne la connais pas mais je sens +qu'elle est amicale et qu'elle veut m'aider. Bingo, c'est notre cher Gustavo +qui vient à ma rescousse. + +A ce moment la, dans la réalité, je ne pouvais pas encore boire de l'eau de +manière "classique". Je ne peux que me vaporiser de l'eau sur le visage et +très légèrement dans la bouche (on ne peut pas vraiment appeler ça boire). +J'ai donc à disposition un brumisateur rechargeable (tout à fait standard) +tout à fait extraordinaire ! Gustavo m'explique que c'est un brumisateur +utilisé dans son pays natal (Amérique du Sud, mais je ne sais plus lequel) +et qu'il a une fonctionnalité cachée permettant de respirer de l'oxygène si le +brumisateur en question contient de l'eau (oui ça va loin). Gustavo m'explique +qu'en l'utilisant d'une certaine façon et en l'orientant d'une certaine manière +je pourrais continuer à respirer même si la pièce vient à manquer d'oxygène. + +A ce moment précis, je commence vraiment à stresser et les informations de +Gustavo sont très précieuses pour moi. Sous ses yeux (via des caméras +j'imagine) attentifs, j'exécute les instructions pour tenter d'hacker +l'utilisation de mon brumisateur. Malheureusement, c'est assez compliqué et +j'échoue à de nombreuses reprises avant de finalement réussir à l'utiliser plus +ou moins correctement. C'est la que quelque chose me percute : la contenance du +brumisateur n'est pas illimitée, comment je vais faire quand je n'aurai plus une +seule goutte d'eau dans la bombonne ? Merde, merde, je suis dans la mouise. + +Je panique, je me tourne dans tous les sens, je crie mais ça ne sert à rien +de toute façon, personne ne m'entend, tout le monde m'a laissé crever comme une +merde dans ce trou sans oxygène. Gustavo, aide moi ! T'es le seul à pouvoir me +sortir de cet enfer ! C'est alors qu'il me répond + + Regarde à côté de toi, Coffee peut t'aider ! + +Je regarde sur le coté et dans le noir, apparait la silhouette d'une personne +assez grande, forte et baraquée. Bordel, je suis sur le cul, je n'ai pas vu +cette personne depuis mon arrivée, c'est vraiment bizarre mais je suis tellement +stressé que ça me dérange même pas de voir une personne apparaitre au milieu +de la pièce. Elle a l'air occupée à tenir une espèce de coussin qui me soutient +la tête ou le bras. + +Je me présente, je parle, mais aucune réponse. Coffee me regarde dans les yeux +mais il ne dit rien. J'ai l'impression qu'il ne comprend pas ce que je dis. +J'essaye avec des mots simples et des questions simples du genre + + Hé, Coffee ! Tu es bien Coffee ? + +Il me réponds avec un oui de la tête. Bingo, j'ai réussi à entamer la +conversation. Il finit par utiliser quelques mots de français mais je comprends +assez rapidement que ce n'est pas une langue qu'il maîtrise. Bordel, comment je +vais me sortir d'une telle situation. Heureusement, encore une fois, c'est +LE Gustavo, qui va venir à ma rescousse : il parle la langue de Coffee ! + +Paf, situation décoincée, je parle en français avec Gustavo, Gustavo traduit et +il discute directement avec Coffee. Bien que le temps presse, j'ai un topo +complet sur la vie de Coffee. C'est en réalité un travailleur clandestin, +immigré employé par l'hôpital et payé au lance pierre. Sa famille est restée +dans son pays d'origine et lui tente désespérément de travailler pour leur +envoyer de quoi vivre. + +Qu'à cela ne tienne ! Je propose à Gustavo de proposer (héhé) à Coffee de le +payer pour m'aider. A première vue son rôle est simple : remplir d'eau ma +bombonne de brumisateur ! + +S'engage alors une très longue négociation parce que Coffee refuse +**catégoriquement** de quitter son poste. Il a peur des représailles de son chef +et je dois batailler d'arguments (en passant par Gustavo, ce qui +rend les échanges vraiment très longs). Le temps presse de plus en plus, je +sens que mes réserves en eau fondent à vue d'oeil. Je n'ai pas le choix, +j'augmente le prix promis à Coffee s'il accepte de m'aider. Je lui dit que +dès que j'ai une visite je demande un chèque du montant qui lui convient. +En discutant avec lui de la situation de sa famille, il finit par accepter et +d'une manière très hésitante, il commence à faire ses premiers pas dans la +pièce : c'est encore loin d'être gagné. + +Je découvre alors que la pièce est bondée d'appareils en tout genre, de câbles +qui pendent, qui traînent et que l'avancée de Coffee dans cette épreuve digne +de Fort-Boyard va être compliquée. Je l'encourage, lui donne des indications +pour avancer. Plus il avance, plus la progression est difficile et il fait part +de son envie de laisser tomber. Moi, pendant ce temps, je suffoque, c'est lui +qui a ma bombonne ! L'encourager et parler me demande un effort surhumain, je +sens même que l'oxygène commence à vraiment manquer, je perds la boule, je suis +sur le point de tomber dans les pommes. Mais, je ne lâche rien, je continue +d'encourager Coffee de toutes mes forces et après des acrobaties en tout genre, +il finit par atteindre son but, mon Graal, de l'eau. + +Le trajet du retour est encore plus alambiqué que celui de l'aller. Le pauvre +Coffee doit faire du limbo, sauter, se faufiler, pour m'atteindre +(la pièce n'est pas si grande que ça, mais bon). De mon côté, je vois +trouble, je sens que je vais partir et probablement ne plus jamais revenir. +La mort par suffocation est certainement une des pires, elle est lente, pas +spécialement douloureuse mais tellement lente. La situation d'impuissance dans +laquelle on se retrouve est exceptionnellement désagréable. Bien que je manque +d'air, je m'agite dans tous les sens et je gaspille le peu qu'il me reste. + +Heureseument, Coffee finit par arriver et grâce à ma maîtrise de la respiration +via brumisateur, je peux à nouveau respirer et reprendre mon souffle. Quel +soulagement ! Je vais vivre, avec cette recharge, je peux largement tenir le +reste de la nuit. Je remercie très chaleureusement Coffee et Gustavo. Je leur +promet une montagne de cadeaux si j'arrive à m'en sortir. + +Après de longues heures d'attente (mais avec la possibilité de respirer et +quand on a l'impression d'en avoir été privé, la retrouver c'est +indescriptible). La porte finit par s'ouvrir, retour au réel. Bref, j'ai survécu +à une EMI hallucinée. + +Mais maintenant que j'y pense, moi je suffoque et Coffee il était là, +pépouse et sans un problème pour respirer. Bouarf, on s'en fout, fuck la +logique ! + +(Au passage, je vous souhaite, du fond du ❤, une très belle année 2019 !)